Existe-t-il vraiment un facteur « Intelligence Collective » qui prédit la performance d’un groupe ?
Au cours d’un récent déjeuner d’affaires avec un client, j’évoquais l’idée selon laquelle les femmes avaient un impact prouvé sur l’efficacité des réunions.
S’en est suivi un court débat passionné qui m’a donné envie de retrouver l’étude en question, qui date de 2010. En fouillant dans mes archives, je suis tombé sur une autre étude qui examine, plus en détails, la relation entre intelligence collective et performance d’un groupe.
L’intelligence collective n’est pas un mythe !
Source de cet article : “Collective intelligence and group performance”, par Anita Williams Woolley, Thomas W. Malone et Ishani Aggarwal – Association for Psychological Science (2015).
L’originalité de cette étude, qui passe en revue les recherches récemment menées sur le thème de l’intelligence collective, est d’avoir étudié la performance de groupes sur un large panel d’activités plutôt que sur une tâche spécifique : brainstorming et résolution de problèmes, énigmes à composantes verbales et mathématiques, activités de négociations… et même problématiques morales.
Rentrons dans le vif du sujet ! Pourquoi certains groupes sont-ils plus efficaces que d’autres ? S’il est évident que les facultés individuelles de chacun des membres jouent un rôle déterminant, des groupes composés d’individus dotés de compétences comparables peuvent faire preuve de niveaux de performance radicalement différents.
Les chercheurs ont donc essayé de déterminer s’il existe, ou non, un facteur “intelligence collective” indépendant des individus qui permettrait de prédire la performance de façon fiable sur le plan statistique.
> Résultat : cette fameuse “intelligence collective” permet de rendre compte à hauteur de 43% du niveau de performance d’un groupe (comparable au 30-50% des études sur l’intelligence individuelle).
Pour aller plus loin, une seconde étude consistait à donner aux groupes une tâche complexe combinant plusieurs mécaniques mises à l’oeuvre au cours des tâches précédentes (jeu d’échec et résolution d’un problème architectural). Le facteur “intelligence collective” a de nouveau réussi à prédire de manière significative le niveau de performance des groupes, alors même que le facteur lié à l’intelligence individuelle ne le permettait pas.
> Résultat : L'impact de l'intelligence collective était au moins deux fois supérieur à celle des intelligences individuelles - tant lors de dispositifs en présentiel qu’au cours de sessions en ligne !
Un niveau d’intelligence collective à deux faces
C’est bien beau tout cela, mais pas très actionnable ! Savoir que l’intelligence collective est un facteur déterminant est une chose. Le maximiser en est une autre.
Selon les chercheurs, l’intelligence collective serait influencée à la fois par des processus qu’ils qualifient de “bottom-up” ou “remontant” – l’agrégation de caractéristiques individuelles – et “top-down” ou “descendant” – tous les éléments qui influencent les modalités de coordination et d’interaction entre les membres d’un groupe.
Pour tirer le meilleur d’un groupe et démultiplier leur capacité de travail en commun, il est donc nécessaire de jouer sur les deux tableaux.
Les facteurs bottom-up : empathie et diversité
L’intelligence collective est donc bien liée aux caractéristiques individuelles des membres d’un groupe. Mais de nombreuses études, tout comme l’expérience de chacun (prenons les équipes de foot et ses fortes individuelles qui entravent la performance collective) fournissent d’amples arguments pour montrer que réunir des personnes intelligentes dans la même salle ne garantit, en rien, que le groupe lui-même sera intelligent.
Quelles sont donc les caractéristiques individuelles à prendre en compte pour pouvoir influer sur l’intelligence collective de vos équipes ? Les auteurs de l’étude reprennent les résultats d’une étude retentissante de 2010 qui postulait que la proportion de femmes présentes dans la salle avait une influence positive sur la performance d’un groupe.
En creusant, il apparaît que les femmes obtiennent des résultats bien supérieurs aux hommes en termes d’empathie et de perception sociale – une caractéristique mesurée par le test RME (Reading the Mind in the Eyes) qui consiste à deviner l’humeur d’une personne à partir de photos de visages. In fine, la capacité de chacun des membres d’un groupe à percevoir, comprendre et décrypter les réactions et les comportements de leurs pairs est un facteur déterminant pour prédire le niveau d’intelligence collective.
In fine, la capacité de chacun des membres d’un groupe à percevoir, comprendre et décrypter les réactions et les comportements de leurs pairs est un facteur déterminant pour prédire le niveau d’intelligence collective.
Un autre facteur à manipuler avec soin : la diversité cognitive. A promouvoir pour favoriser la créativité, à entraver pour décupler la productivité. Soyons bien clair : une diversité de façade (genre, nationalité, etc.) ne présume en rien d’une diversité de pensée (même éducation, culture, etc.). Une autre étude montre que la diversité cognitive a seulement un impact positif sur la performance d’un groupe lorsqu’elle est utilisée de façon modérée. Une courbe d’efficacité en U inversé, donc : trop ou trop peu de diversité sont deux situations à éviter.
Les facteurs top-down : communication et amitiés
Nous en venons ensuite aux facteurs descendant, soit toutes les modalités qui peuvent influencer – de façon positive ou négative – la façon dont les membres d’un groupe communiquent et interagissent. Un sujet qui a la part belle dans une pléthore d’ouvrages business, mais dont la recherche ne s’est pour l’instant que peu préoccupée.
Selon les chercheurs, qui ont analysé la corrélation entre le nombre de mots échangés (verbalement ou textuellement) et l’efficacité collective, le constat est clair : plus les participants communiquent, plus l’intelligence collective du groupe augmente. Mais il y a un autre élément à prendre en compte : l’efficacité d’un groupe à collaborer dépend de l’équilibre de cette communication – soit si chacun participe activement de façon plus ou moins similaire, prouvant l’importance de favoriser la participation de chacun et de modérer les échanges en faveur d’une participation distribuée de façon égalitaire.
Le constat est clair : plus les participants communiquent, plus l’intelligence collective du groupe augmente. Mais il y a un autre élément à prendre en compte : l’efficacité d’un groupe à collaborer dépend de l’équilibre de cette communication.
L’étude met en lumière un résultat légèrement plus surprenant : la performance collective d’un groupe ne serait aucunement influencée par des facteurs interpersonnels, comme sa cohésion sociale, la satisfaction générale du groupe ou son degré de sécurité psychologique. Ni de façon positive, ni de façon négative : en somme, il n’y aurait aucune corrélation prouvée entre de tels éléments – souvent mis en avant dans la littérature vulgarisatrice – et le niveau d’intelligence collective d’un groupe.
Assez passionnant comme étude, non ? Le moment est venu de prendre un peu de recul : Qu’en avez-vous appris et retenu ? Et surtout, que pouvez-vous mettre en oeuvre, dès demain, pour utiliser le levier de l’intelligence afin de booster la performance de votre organisation ?