Un équipe qui collabore

L’intelligence collective, outil du manager éclairé du 21e siècle

Qu’est-ce que l’intelligence collective ?

L’intelligence collective, c’est l’idée selon laquelle un collectif d’individus, quel qu’il soit, est doté d’une intelligence supérieure à celle d’un individu isolé, quel qu’il soit. L’intelligence collective, c’est la croyance en la capacité d’un groupe à échanger, travailler et fonctionner efficacement ensemble, sans structure hiérarchique prédéterminée, menace de sanction ou promesse de rétribution.

L’intelligence collective : mythe ou évidence ?

Idée séduisante s’il en est, concept débattu avec passion et acharnement depuis des décennies, l’intelligence collective est démontrée comme une évidence par certains et rejetée comme un mythe par d’autres. L’intelligence collective pourrait, en fin de compte, n’être ni l’un, ni l’autre… ou un peu les deux à la fois.

L’intelligence collective, une évidence ?

Examinons le premier argument : l’intelligence collective en tant qu’évidence. Depuis les temps immémoriaux, les êtres humains s’assemblent et s’organisent de façon volontaire et spontanée pour réaliser des tâches plus ou moins complexes. Nous coopérons et collaborons tous, tout le temps, sans interruption. L’intelligence collective serait donc un fait inhérent à notre condition, une donnée de la nature humaine.

Cette croyance s’est trouvée renforcée par les recherches effectuées depuis les années 1970 qui démontrent, à contre-pied de la croyance collective d’alors qui mettait l’accent sur le concept d’autorité hiérarchique pour expliquer l’organisation des individus, que les foules et les groupes de personnes ne sont ni irrationnelles, ni stupides, ni mal-informées – à ce sujet, voir notamment les ouvrages fondateurs de Howard Rheingold, « Smart Mobs », et de James Surowiecki « The Wisdom of Crowds ». 

Cette idée n’est pas neuve : Condorcet, considéré par de nombreuses personnes comme “le père” de l’intelligence collective via son fameux théorème, disait déjà dès le 18e siècle que les chances de prendre une bonne décision augmentent avec la taille du groupe. Et cette idée fait aujourd’hui fureur, à tel point que l’on peut parler de réel effet de mode sur l’intelligence collective, y compris au sein du monde de l’entreprise.

Mais attention : même si l’on décide de considérer l’intelligence collective et le travail collaboratif comme un fait inhérent aux sociétés humaines, ils ne vont pas forcément de soi dans les entreprises qui sont, par nature, l’un des modes d’organisation les moins démocratiques qui soient.

Mais attention : même si l’on décide de considérer l’intelligence collective et le travail collaboratif comme un fait inhérent aux sociétés humaines, ils ne vont pas forcément de soi dans les entreprises qui sont, par nature, l’un des modes d’organisation les moins démocratiques qui soient.

L’intelligence collective, un mythe ?

Ce qui nous amène au deuxième constat, tout aussi répandu : l’intelligence collective ne serait qu’un mythe, une illusion. Là aussi, la recherche a longtemps fourbi ses armes pour défendre l’idée selon laquelle le destin naturel de la collaboration, du débat et des délibérations en grands groupes est, purement et simplement, de dysfonctionner. La faute aux innombrables biais collectifs de la « pensée de groupe », notamment théorisés par Irving Janis : effet de nombre et de majorité, effet du groupe amical, défauts de la communication silencieuse, conformisme, fausses anticipations, pression hiérarchique, effet de polarisation du débat, pour n’en citer que quelques-uns.

Résultat : les groupes d’individus, laissés à eux-mêmes, sont inhéremment dysfonctionnels, non-performants, et font preuve de tout un éventail de « folies collectives » identifiées depuis les balbutiements de la sociologie et de la psychologie. Le travail en équipe serait donc une cause perdue, et les individus se comporteraient de façon irrationnelle et non-éclairée au fur et à mesure que le taille du groupe et la complexité des problèmes à résoudre augmenteraient.

L’intelligence collective, clé du succès des organisations aujourd’hui

L’intelligence collective n’est ni un mirage de la pensée, ni une banale certitude. Un peu les deux à la fois, c’est avant tout un outil et une ressource indispensable à manipuler avec le plus grand soin pour mettre à jour l’immense potentiel qu’elle recèle, accélérateur d’engagement, moteur de transformation et booster d’innovation pour les entreprises.

Mais considérée comme une simple fin en soi ou abordée avec hâte et superficialité, l’intelligence collective peut devenir un réel chemin de croix pour les managers, voire pour l’organisation tout entière. Introduite trop rapidement au sein des équipes et des entreprises, la facilitation de l’intelligence collective se retourne, oh combien souvent, contre les dirigeants, aussi bien intentionnés soient-ils : le processus leur échappe, entraînant un défaut de collaboration réelle, une dilution de la responsabilité individuelle et collective des membres de l’équipe et une remise en cause du leadership, autant de facteurs préjudiciables au succès, à la réussite et à la croissance d’une entreprise ou d’un projet.

La mise en valeur de l’intelligence collective est loin d’être un jeu d’enfant, et de nombreuses organisations pâtissent d’une mauvaise compréhension ou d’une lecture trop artificielle de cet enjeu, souvent réduit à un simple « bonus bottom-up » d’une architecture par ailleurs intégralement enfermée dans un carcan hiérarchique. Victimes d’imposture et d’affabulation collaborative qui s’est développée à la faveur de cette mode grandissante, de nombreuses entreprises ratent le tournant essentiel que devrait représenter cette révolution dans le mode d’organisation et de travail collectif. Les meilleures intentions du monde ne suffisent pas : la facilitation et la mise en valeur de l’intelligence collective ne s’improvise pas du jour au lendemain, mais requiert un réel travail de fond avec des experts et des praticiens du métier.

La mise en valeur de l’intelligence collective est loin d’être un jeu d’enfant, et de nombreuses organisations pâtissent d’une mauvaise compréhension ou d’une lecture trop artificielle de cet enjeu

Abordée avec un mélange de sérieux, d’humilité et d’ambition, l’intelligence collective peut devenir une clé fondamentale pour accroître la performance des équipes, engager une organisation sur la voie d’une innovation sans précédent et améliorer le processus de prise de décision à tous les niveaux de l’entreprise. Que l’on le veuille ou non, toutes les grandes décisions – bonnes ou mauvaises – naissent de collectifs, de la circulation de l’information et engagent, irrémédiablement, plus qu’une seule personne. Et si le potentiel d’un groupe est évidemment, sur le papier, plus élevé que celui d’un seul individu, les résultats ne sont, malheureusement, pas toujours au rendez-vous.

Comment faire alors ? C’est là où la facilitation de l’intelligence collective rentre en jeu : habilement définie comme la « voie oblique entre la soumission à la pensée de l’expert et le bavardage de la multitude » par Philippe Nassif, la facilitation permet de faire de l’intelligence collective et du travail collaboratif l’une des clés du succès des entreprises d’aujourd’hui, d’accroître le potentiel d’une équipe sur le long-terme et sa performance opérationnelle sur le court-terme. Contrairement à certaines idées-reçues, la facilitation n’a ni vocation, ni intérêt à remplacer le management traditionnel, mais le complète au profit des équipes, par l’impulsion des dirigeants et dans l’intérêt des organisations.

L’intelligence collective est un voyage, une aventure à la découverte de l’une des dernières ressources inexploitées du monde de l’entreprise; une ressource qui, au contraire de toutes les autres, ne s’épuisera que si nous continuons à l’ignorer, et qui prospérera au fur et à mesure que nous l’exploiterons.

Le manager qui a pris conscience de cette nouvelle réalité a déjà fait la moitié du chemin.